Les inégalités environnementales en ville

2. Historicité de la question

2.1. Convergences des échelles et chaînes d'inégalités

La disparité évidente des cadres de vie et de travail ne recouvre pas la notion d’inégalité environnementale, qui réfère à une injustice environnementale, c’est-à-dire au traitement différencié de populations en fonction de leurs statuts sociaux, racisés ou minorisés. Les niveaux d’exposition aux polluants, aux nuisances et aux risques, mais aussi les aménités, diffèrent du tout au tout entre :

  • les agglomérations des nords et des suds,
  • les enclaves des nords dans les suds (quartiers ex-coloniaux notamment) et
  • les territoires des suds dans les nords (quartiers sociaux ou multi-ethniques).

Il est important de comprendre les convergences entre les échelles, les processus, et les chaînes qui relient ces inégalités, les mobilisations pour la justice environnementale ayant été portées par des groupes dominés, colonisés, racisés ou minorisés. 

Les injustices environnementales ont été progressivement révélées par les luttes et la littérature post-coloniales avant d’être appréhendées à l’échelle locale et urbaine, dans le sillage des droits civiquesRéf. biblio. En Inde, en Afrique ou en Amérique latine, un ensemble de travaux ont dénoncé les spoliations et pollutions dues à une colonisation extractiviste (Galaneo, 1971). « L’environnementalisme des pauvres » défendu par Ramachandra Guha et Joan Martinez-Alier (1997) a permis de systématiser l’analyse en montrant les différentes facettes des injustices environnementales au sein des rapports nord-sud : importation et accaparement des ressources « naturelles » (bois, minéraux, énergies fossiles, esclaves, plantes médicinales, …) depuis la colonisation, mise en culture des terres et littoraux annexés, exportation de déchets toxiques et activités à risques, etc. Joan Martinez-Alier relaiera l’idée d’une dette écologique des pays occidentaux envers ceux des suds, qui aurait constitué le socle de leur développement.

Protestation à Love Canal, 1976

Domaine public

Une seconde lecture, plus urbaine, de l’injustice environnementale s’est forgée aux Etats-Unis à partir de l’affaire de Love Canal (1976 : découverte d’une décharge de produits chimiques toxiques dans la banlieue de Niagara Falls) , qui donna naissance à un mouvement populaire anti-toxique, nourri également par des catastrophes environnementales dans les suds -agent orange au Vietnam, explosion d’une usine chimique à Bhopal, etc.Réf. biblio. On découvre peu après aux Etats-Unis l’ampleur des surexpositions aux risques et polluants des populations des suds dans les nords : 3 africains et hispaniques sur 5 vivraient à proximité de sites émettant des rejets toxiquesRéf. biblio.

On ne sort pas des rapports de domination nord-sud mais la géographie se fait fractale… Les mobilisations urbaines qui prennent leur essor dans les années 1980 montrent les discriminations raciales poussant les minorités vers des environnements « toxiques » et fondent le mouvement pour la justice environnementale, en brandissant un étendard que les luttes post-coloniales n’avaient pas réussi à lever.

Le chaînage entre inégalités nord-sud et urbaines se rejoue de manière aigüe face aux menaces du Global Change et aux difficultés ou à l’impossibilité de s’adapter, qui font advenir d’autres raisons de migrer. Rappelons tout d’abord que la quasi-totalité des morts et victimes dus à des désastres dits naturels, en particulier climatiques, se situe dans les pays en développement, faute de protections collectives; au premier rang desquelles, l’insécurité foncière et l’habitat informel en ville, dont les matériaux se révèlent incapables de protéger des agressions climatiques, pas plus que de nombreuses pollutions, intérieures (charbon de bois pour la cuisson) et extérieures. Est également en cause l’urbanisation de zones impropres à la construction, particulièrement à risques. Enfin, et plus en aval, l’absence de plans de gestion de crise, de mesures d’évacuation des populations, puis d’accès aux soins décuplent les risques. Les pays les plus sujets à une économie extractiviste sont ceux où l’éducation et la représentation politique du peuple sont les plus faibles, en conséquence de quoi les mécanismes de pression sur les gouvernements pour assurer des formes minimales de protection sont inexistants, expliquent Roberts et Parks (2007).

L’absence d’horizon de vie conduit parfois les populations à migrer un cran plus loin, vers les métropoles occidentales. La disparition pure et simple de certains milieux de vie, archipels, deltas, etc., ou les multiples dégradations dont ils font l’objet exacerbent aujourd’hui la question migratoire, l’exode rural puis l’exode inter-urbain. Un jeu de chaises musicales s’observe entre des migrants des suds qui gagnent les métropoles occidentales dans l’espoir d’une émancipation économique et culturelle, et des citadins fuyant ces milieux métropolitains en raison de crises multidimensionnelles (économique, écologique, sanitaire). Mais cette forme d’adaptation extrême qui consiste à changer de milieu coûte que coûte, n’est pas donnée à tou.te.s. Les inégales capacités à évacuer des milieux de vie dégradés ou condamnés à court ou moyen termes laissent la majorité la plus pauvre des citadins captive et sidérée. L’ouragan Katrina, à la Nouvelle-Orléans, l’a tristement démontré, les afro-américains n’ayant pas eu les moyens de fuir (ménages peu motorisés) et étant sur-représentés dans les zones inondables, le centre-ville et les banlieues gagnées récemment sur les marais du delta du MississipiRéf. biblio.