La taxe Pigouvienne

2. De quoi s’agit-il ?

2.4. Limites et critiques de la taxe pigouvienne

Comme dit précédemment, la taxe pigouvienne s’inscrit dans le paradigme de l’économie néoclassique, et ne remet pas en cause les principes fondateurs de ce courant de la pensée économique : 

  • anthropocentrisme de la démarche économiste, 
  • efficacité du marché en tant qu’institution s’auto-régulant, 
  • recherche d’un équilibre de Pareto théorique, 
  • prise en compte des coûts monétaires seulement, etc. 

La base de cette taxe repose également sur plusieurs principes théoriques (comme le principe d’équilibre du marché, d'égalisation des coûts de réduction du dommage avec le coût social) dont l’application réelle dépend d’autres facteurs que ceux seulement économiques.

Aussi, la taxe pigouvienne admet les externalités comme une simple « défaillance » de marché, un problème périphérique et mineur, qu’il s’agit seulement de réguler, sans pour autant remettre en question le système qui les crée. Pour l’économiste Karl William KappRéf. biblio, la décharge des coûts sociaux induite par les externalités est un phénomène généralisé au sein de l’économie capitaliste, et est constitutive de l’économie néoclassique. 

Concernant la taxe pigouvienne elle-même, elle reste critiquée en tant que principe théorique. En effet, connaître précisément le coût social d’une externalité (infligé à un groupe d’agents ou à la société entière) est extrêmement difficile. Si des techniques d’évaluation des dommages environnementaux sont utilisées à ces fins, elles sont souvent critiquées pour minorer les coûts réels. En effet, elles respectent seulement un principe de relations mutuelles entre deux unités micro-économiquesRéf. biblio (une entreprise qui pollue face à un groupe de citoyens, par exemple) alors qu’un écosystème pollué ne réagit pas comme cette relation bilatérale. Ainsi, une externalité négative liée à la production d’une entreprise (la pollution d’une rivière par exemple) n’est pas considérée comme un problème systémique, mais attachée à une zone géographique et un temps donnés.

Ronald Coase, prix Nobel d’économie, critique la visée interventionniste de la théorie pigouvienne dans un de ses articles publiés en 1960Réf. biblio, et considère au contraire que les agents directement concernés par l’externalité devraient négocier de façon privée. Ainsi, un groupe de citoyens touché par la pollution induite par la production d’une entreprise devrait pouvoir directement négocier le coût du préjudice avec l’entreprise, et être dédommagé. Ainsi, l’entreprise achèterait un « droit à polluer », et les citoyens pourraient jouir de l’argent résultant de ce droit qu’ils allouent. Ainsi selon Coase, l’allocation des droits de propriété (de pollution ici) peut être plus efficace dans des situations où les coûts de transaction sont inexistants. Il n’y a alors pas besoin d’instance régulatrice, et de taxe.

L'application de la taxe pigouvienne en Europe et son acceptation




L’acceptation d’une taxe pigouvienne est également extrêmement importante dans la mesure de son efficacité. 

En Suède, l’élargissement de la taxe carbone aux carburants fossiles dans les années 1990 afin d’atteindre les objectifs climatiques a été accompagnée d’une réduction d’autres impôts, notamment sur le revenu, le capital et le travail (introduisant un double-dividende) ainsi qu’un élargissement de l’assiette de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l’élimination de niches fiscales, avec une meilleure distribution des richesses. Un processus politique fort a également été mis en place. Le processus visant à l’augmenter est soumis à une consultation publique générale incluant les acteurs économiques et sociaux. Enfin, un État-providence fort, avec des services publics permettant de lutter efficacement contre les inégalités a permis une acceptation globale de la taxe lors de sa mise en place, et sa montée progressive au fil des années, permettant une baisse de 23% des rejets de CO2 entre 1990 et 2013.

D’autres exemples existent, tels que la Finlande et le Danemark dans les années 1990, la Slovénie (1997), l’Irlande (2010). En Colombie-britannique, au Canada, une taxe carbone a également été mise en place en 2008. Celle-ci ne vise pas à générer des revenus (revenue-neutral) et a été accompagnée de mesures compensatoires pour les ménages les plus modestes.

En France, l’absence de consultation publique avec les acteurs économiques et sociaux ainsi qu’avec la population sur l’écotaxe d’abord, puis de la taxe carbone prévue par la loi de finances de 2014 visant à lutter contre le changement climatique favorise l’incompréhension autour de cette taxe. Alors que le prix des carburants est particulièrement élevé, l’augmentation de cette taxe est prévue au 1er janvier 2019. Suite au mouvement des « Gilets jaunes », le gouvernement annule l’augmentation de cette taxe le 5 décembre 2018.