Aménager ses conditions et contraintes professionnelles pour former à la durabilité
Site: | Moodle UVED |
Cours: | Éduquer pour former à/en/par l'anthropocène |
Livre: | Aménager ses conditions et contraintes professionnelles pour former à la durabilité |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | samedi 23 novembre 2024, 10:38 |
Description
1. A propos de la séquence
Acquis d'apprentissage
- Connaitre l'échelle des codéterminations didactiques
- Analyser un enseignement en utilisant cet outil
Durée de la séquence
- 20 min
2. Un outil d'enquête : l'échelle des niveaux de codétermination didactique
L'échelle des niveaux de codétermination didactique a été développée dans le cadre des recherches menées à partir de la théorie anthropologique du didactique formulée par Yves Chevallard (1999).
Cette approche théorique propose de considérer les interactions sociales qui mettent en jeu à quelque degré que ce soit l'apprentissage de quelque chose.
Il y a du didactique, avons-nous indiqué, en toute situation sociale dans laquelle quelque instance (personne ou institution) envisage de faire (ou fait) quelque chose afin de faire que quelque instance apprenne quelque chose. Le didactique, son économie et son écologie sont l’objet d’étude même de la science didactique. » (Chevallard & Ladage, 2011).
Une telle approche conduit à prendre du recul par rapport aux institutions et à la manière dont celle-ci structurent les savoirs pour réfléchir en profondeur les conditions et les pratiques qui permettent - ou non - de développer des apprentissages.
— Yves Chevallard
L’échelle des niveaux de codétermination didactique est un outil d'enquête pour penser comment les différents niveaux de la société déterminent les systèmes didactiques (là où se fait concrètement l'apprentissage de l'étudiant) en définissant des ensembles de conditions (négociables) et de contraintes (imposées). Il faut noter que cette échelle n'est pas hiérarchisée, dans le sens où chaque niveau est potentiellement aussi important que l'autre. Certaines contraintes peuvent ainsi émerger à un niveau très spécifique mais se révéler particulièrement déterminantes, à partir de là, elles peuvent aussi se diffuser dans d'autres institutions de la société.
Source : repris par l'auteur d'après Chevallard et Ladage (2011)
L'échelle donnée dans ce schéma est indicative et le choix des niveaux retenus est à adapter en fonction des situations considérées. Par exemple, quand on parle d'Ecole, on veut par-là désigner les institutions reconnues par une société donnée pour accompagner des apprentissages. De la même façon, la notion de « discipline » est à comprendre comme le produit de choix pédagogiques de découpage du savoir, un système de normes et de frontières propres à une ou plusieurs institutions.
2.1. Le cas du module "Enjeux de la transition écologique" à l'INSA Lyon
Nous proposons maintenant d'utiliser cet outil pour analyser le module « Enjeux de la transition écologique » (ETrE) enseigné à l'INSA Lyon. Notre enquête repose notamment sur l’observation du processus interne et collégial d'élaboration d'un socle d'objectifs de formation pour l'établissement ainsi que pour la mise en œuvre de ce module en particulier. Des entretiens ont été conduits avec une trentaine d’enseignants de différentes disciplines des départements de 1er cycle en ingénierie et de Génie Civil Urbanisme. Notre enquête n'a toutefois pas permis de préciser les niveaux les plus proches des situations didactiques en classe. Les préoccupations qui ont guidé notre enquête étaient en particulier la question des savoirs de référence et les manières dont étaient cadrées à différents niveaux les notions de durabilité ou d'enjeux socio-écologiques.
Source : H. Paris - Tous droits réservés
Vous pouvez retrouver la carte heuristique en format PDF dans les Ressources complémentaires.
2.2. La place des savoirs scientifiques
On peut relever que la place des savoirs scientifiques est centrale dans le module ETRE. C'était là un souhait de beaucoup d'enseignants qui souhaitaient avoir des contenus irréprochables pour ne pas prêter le flanc à la critique de collègues plus dubitatifs sur l'intérêt de cette formation aux enjeux socio-écologiques. Par rapport à beaucoup d'autres situations de formation, où les savoirs sont consolidés depuis des décennies si ce n'est des siècles, les savoirs en jeu sont plus chauds et font l'objet d'une intense discussion du fait de leur actualité scientifique : on parle alors de savoirs non stabilisés ou de savoirs «vifs». Ces savoirs peuvent par ailleurs faire l'objet de controverses dans l'espace public, ce qui est susceptible de nourrir les représentations des étudiants sur les problèmes abordés en classe.
Cette référence incontournable aux savoirs scientifiques peut toutefois se montrer à double-tranchant : si elle permet efficacement de se distinguer d'approches de sensibilisation parfois peu critiques comme les injonctions à adopter et diffuser des bonnes pratiques (comme les éco-gestes), elle peut aussi conduire à clôturer trop hâtivement le champ des savoirs pertinents pour la formation. En particulier, cela peut conduire à négliger les apports de certaines sciences regardées comme plus fragiles (les sciences humaines et sociales, mais aussi dans une certaine mesure dans notre cas, les sciences du vivant), les savoirs locaux, les savoirs d'expérience ou encore les valeurs qui sont en jeu. Se faire une place au sein des contenus perçus comme légitimes aux yeux de l’ensemble de l’équipe enseignante n’est ainsi pas toujours simple : l’interdisciplinarité suppose la (re)négociation de rapports de prestige préexistants.
2.3. La dimension politique
La dimension fondamentalement politique des enjeux socio-écologiques a été un aspect difficile à traiter pour l'équipe enseignante du module ETRE. Un consensus a fini par émerger après de nombreuses discussions sur le fait que la prise en compte des valeurs est importante dans les problèmes liés à la durabilité comme le souligne par exemple Michel Fabre. Elle renvoie à la fois aux valeurs de l’enseignant et aux valeurs inhérentes aux savoirs (épistémologie). Pour comprendre les difficultés vécues par les enseignants, on peut l'analyser sur le plan de la culture professionnelle en distinguant schématiquement deux manières de penser la place de l’enseignant à propos des valeurs :
- D’une part l'application d'un devoir de réserve et d'une exigence de neutralité entendue au sens strict comme l'idée que les enseignants n'ont pas à parler de sujets politiques ou à prendre position devant les étudiants. Sur ce point, il est d'ailleurs important de noter que la loi française garantit aux enseignants-chercheurs une liberté d’expression spécifique dans l'exercice de leurs missions, supérieure à celle de la plupart des autres fonctionnaires.
- D’autre part, la valeur d'honnêteté intellectuelle du scientifique qui consiste à expliciter sa propre position, son niveau d'expertise et ses valeurs pour permettre à ses auditeurs de prendre du recul sur ce qui est dit.
Au fil des échanges, plusieurs enseignants en sont venus à reconsidérer leur compréhension de la neutralité en lui donnant un sens davantage centré sur la reconnaissance du pluralisme (soit dans le cas présent, expliquer aux étudiants différentes positions possibles sur la façon de penser les enjeux socio-écologiques). Au fur et à mesure de l'acculturation de l'équipe, par exemple à des concepts développés en SHS comme les différents récits de l'Anthropocène au travers de temps importants de formation par les pairs, les réticences à aborder des sujets sur lesquels chacun n'est pas expert se résorbent progressivement.
Cela a fait toutefois surgir de nouvelles questions sur les manières d'amener les étudiants à construire des jugements éclairés : est-ce que le contexte d'une formation d'ingénieur ne nous conduit-il pas à préférer des approches excessivement technologiques des problèmes en sous-estimant les autres dimensions ? Comment penser contre soi-même ?
3. Mise en pratique
Auto-évaluation
S’autoévaluer à réaliser à partir de l’échelle de codétermination (à adapter). Cela peut se faire à partir d’une carte heuristique ou bien d’un simple tableau.
Sensibilisation
Le jeu Ma Terre en 180' : atelier collaboratif issu du monde académique pour prendre conscience de son empreinte carbone professionnelle au sein de l'Enseignement supérieur et des organismes de recherche.
4. Ressources complémentaires
Références bibliographiques / webographiques
Ouvrages
- Barthes, A., Alpe, Y. & Zwang, A. (2014). Sous la bannière du développement durable, quels rapports aux savoirs scientifiques. Education relative à l’environnement, n°11.
- Delespierre, A. (2015). Des entreprises dans les salles de classe ? La révolution conservatrice des grandes écoles d’ingénieurs. Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n°14.
- Derouet, A. & Paye, S. (2010). Synthèse ISF : Invention de l’autre formation des ingénieurs : Débats et controverses autour des enseignements non techniques au milieu du 20ème siècle. Ingénieurs sans frontières.
- Fabre, M. (2018). Savoir et valeur. Pour une conception émancipatrice des « Éducations à ». Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, n°48. https://doi.org/10.4000/edso.3008
- Girault, Y. & Lhoste, Y. (2010). Opinions et savoirs : Positionnements épistémologiques et questions didactiques. Recherches en didactique des sciences et des technologies, n°1. https://doi.org/10.4000/rdst.160
- Legardez, A. (2016). Questions Socialement Vives, et Education au Développement Durable. L’exemple de la question du changement climatique. Revue francophone du DD, n°10.
- Lemaître, D. (2003). La formation humaine des ingénieurs. Presses Universitaires de France.
Articles
- Bonneuil, C. (2014). « L'Anthropocène et ses lectures politiques », Les Possibles, n°3, p. 1-7.
- Chevallard, Y. (1999). Analyse des pratiques enseignantes et didactique des mathématiques, Recherches en didactique des mathématiques, n°19-2, 221–266.
- Grelon, A. (1987). La question des besoins en ingénieurs de l’économie française. Essai de repérage historique. Technologies, Idéologies, Pratiques, vol. VI/4 et VII/1, 3‑23.
- Wallenhorst, N., & Theviot, A. (2020). Les récits politiques de l’Anthropocène. Articulation du politique en Anthropocène et de l’Anthropocène en politique. Raisons politiques, n°77-1, 5‑34. https://doi.org/10.3917/rai.077.0005
Sites web
- Chevallard Y. & Ladage C. (2011). Module 1 : Leçons de didactique, Didactique fondamentale, cours pour le master en sciences de l'éducation, Université de Provence. http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/IMG/pdf/DFM_2011-2012_Module_1_LD_.pdf. Consulté le 08/03/2023.
- Commission des Titres d’Ingénieur (2022) Références & orientations version 2022, https://www.cti-commission.fr/wp-content/uploads/2022/03/RO_Referentiel_2022_VF_2022-03-15.pdf. Consulté le 12/07/2023
Image
- Echelle des niveaux de co-détermination - Module ETRE (format PDF)
5. Crédits
Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Elle est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons - 4.0 International : Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions
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Première édition : octobre 2023