La prise en compte des différentes échelles de temps
2. Les échelles de temps
2.2. Le temps mesuré
Il est linéaire, telle la flèche de l’arc. Il segmente le temps en passé, présent et futur. Il est celui de la montre, de l’action humaine, de ses réalisations.
Il concerne aussi bien l’installation d’infrastructures, les conditions auxquelles elles seront exposées durant leur usage, que leur devenir en fin de vie, lorsqu’elles seront à l’état de ruines. Ces dernières auront-elles des effets négatifs au-delà de la fin de leur usage, à l’instar des déchets nucléaires enfouis ou de puits de pétrole, ou seront-elle stables ? Ces différentes durées sont à intégrer dès la conception. Il peut s’agir de puits de carbone dits naturels, d’ouvrage d’art pour le transport ou encore de l’ouverture d’une mine de lithium. En l’occurrence, lors de la plantation d’arbres, il convient d’ores et déjà de se projeter dans les 10 à 20 prochaines années afin d’identifier l’espèce qui sera comptable avec les nouvelles conditions environnementales : température, stress hydrique, pathologie, … Il en est de même à propos d’un ouvrage d’art. Il intervient aussi lors de l’ouverture d’une mine. Il importe d’intégrer le temps nécessaire à sa mise en exploitation et le raffinage du minerai au regard des attentes sur ce dernier. En moyenne, une vingtaine d’année est nécessaire pour la pleine exploitation de la mine.
Nous pouvons aussi citer le cas de la transformation d’un outil industriel, voire d’une filière industrielle. Le passage du véhicule thermique au véhicule électrique illustre ce cas. D’une part les usines de fabrication sont concernées, le personnel
est en première ligne car le métier est différent, le nombre de travailleurs est moindre. D’autre part, il y a l’ensemble des sous-traitants et des autres activités connexes rattachées au véhicule thermique qui doit également se transformer, voire
se développer (ex. le réseau de bornes de recharge). C’est un pas de temps proche de 20 ans.
L’incitation à mieux isoler son logement ou à acquérir des moyens de chauffage moins dépendant des énergies fossiles connaît un schéma similaire. Il est fait face à une pénurie de main d’œuvre. Les tensions sur les matériaux génèrent des délais d’attentes notables sur la fourniture de certains équipements. Le plan de rénovation énergétique des logements et des bâtiments s’étale sur plus d’une trentaine d’années. Annoncé en 2017, il ambitionne d’atteindre la neutralité carbone en 2050, tout en luttant contre la précarité énergétique.
Il convient également de comptabiliser le temps de pollution des milieux d’où sont extraits les différentes ressources nécessaires pour ces chantiers (cuivre, pétrole, lithium, …), ou du temps de restauration des milieux dégradés par l’extraction. Les périodes se comptent en mi-siècle, quand ce n’est pas sur plusieurs siècles, millénaires ou centaines de millénaires pour les déchets nucléaires.
Dans le même ordre d’idée, il faut prendre en compte le temps des grands cycles naturels que les activités anthropiques perturbent (perturbations qui ont en grande partie inspiré la notion d’anthropocène). Ces cycles d’échanges entre les compartiments du système Terre fonctionnent sur des centaines de milliers ou des millions d’années, à une échelle incomparable à la durée d’une vie humaine (voir séquences sur l'Histoire de la Terre - S3C). Ils sont de ce fait très difficiles à prendre en compte dans l’élaboration des stratégies et des politiques publiques. Et pourtant, ils sont à la base des changements profonds qui affectent déjà et affecteront encore durablement nos conditions de vie à travers les changements climatiques profonds en cours. Cette discordance déstabilisante entre le temps humain et le temps des grands cycles naturels est un frein à l’action efficace et il faut donc que tous les acteurs de la société l’intègrent pour prendre toute la mesure des enjeux.