2. Les modèles alternatifs d'organisation

2.4. Décroissance, post-croissance, redirection écologique

La décroissance

Théorisée dans les années 70, elle part du constat de l’impossible découplage entre croissance du PIB et impacts sociaux et environnementaux. L’approche émerge à la faveur des travaux de l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen. Il met en lumière l’impasse d’une croissance illimitée dans un monde fini. 

Théorisée en France par des penseurs tels qu’André Gorz ou Serge LatoucheRéf. biblio , elle a connu un regain d’intérêt suite à la thèse de Timothée Parrique « The political economy of degrowth », qui a donné lieu à un ouvrage « Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance », publié en 2022 aux Editions du Seuil. Elle invite donc à ne plus prendre pour référence le PIB, mais à regarder d’autres voire de nouveaux indicateurs pour qualifier le développement d’un Etat. A titre d’exemple, le Bhoutan a instauré l’indice du bonheur humain pour évaluer le développement des habitants et des activités du pays. 

Toutefois, la décroissance est surtout entendable à l’échelle macro-économiqueRéf. biblio. La notion de décroissance invite à réduire nos consommations, avec pour horizon la réduction de impacts des activités humaines sur l’environnement. Cependant, de tels propos sont difficilement entendables pour une large partie de la population mondiale qui ne bénéficient pas du minimum décent pour se nourrir, boire une eau non polluée et se loger. Elle implique donc une approche différenciée selon les situations. Se pose alors la question des critères pour différencier la mise en œuvre de la décroissance. De même, l’acceptabilité de la renonciation à un certain confort. A ce propose, il convient de souligner la notion de décroissance prospère promu par l’association Alter Kapitae.

La redirection écologique

Développée par Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin, c'est un cadre à la fois conceptuel et opérationnel, pour aider les organisations et les territoires à imaginer de nouvelles stratégies pour s’aligner sur les limites planétaires.

Elle invite à prendre en compte le renoncement et les arbitrages que pose ce nouvel état du monde, pour l’ensemble des vivants, humains et non humains. Deux ouvrages évoquent cette approche : « Héritage et fermeture : une écologie du démantèlement »Réf. biblio et « Politiser le renoncement »Réf. biblio. La redirection écologique vise à maintenir l’habitabilité de la planète. A cet effet, elle propose 3 axes d’interventions :

  1. Il faut gérer l’existant, à savoir les infrastructures, techniques, technologiques et organisationnelles qui ne sont pas compatibles avec les limites planétaires. Elle introduit la notion de ruines. Ces infrastructures sont à fermer, rediriger ;
  2. Grâce aux technologies existantes, faire de la soutenabilité faible. Le concept de technologies zombies (José Halloy) renvoie à ces technologies existantes obsolètes à durabilité faible. C’est le cas du véhicule électrique. Toutefois, il convient de les transformer et d’éviter que n’adviennent d’autres technologies zombies ;
  3. Inventer des organisations, des technologies, techniques à soutenabilité forte, qui soient compatibles avec les limites planétaires et qui garantissent un plancher social.

La mise en œuvre de ces 3 axes suppose d’opérer des arbitrages démocratiques, anticipés afin de ne pas être au pied du mur et donc recourir à des arbitrages autoritaires et brutaux. Ces arbitrages non-brutaux convoquent la notion d’attachement, à savoir ce à quoi on tient et ce qui nous tientRéf. biblio. Pour mener à bien ces arbitrages démocratiques, anticipés et non-brutaux, il convient donc :

  • De cartographier les attachements, soit que les parties prenantes locales et extra-locales co-enquêtent
  • D’élaborer des protocoles de dés-attachement, soit de convenir de critères de ce à quoi les parties prenantes renoncent et comment
  • De concevoir de nouveaux modes d’existences, fondés sur de nouveaux critères compatibles avec le maintien de l’habitabilité de la planète et le plancher social.

La redirection écologique interroge la finalité davantage que les moyens.

Ici les enjeux sont compris comme posant un problème d’organisation sociale. Trois objections sont formulées par ce courant, contre l’option de la croissance et du solutionnisme technologique :

  1. Les solutions technologiques n’en sont pas, elles relèvent de la science-fiction, elles n’ont pour objectif que de retarder un changement organisationnel impliquant des questions d’équité :
    • La séquestration de carbone évoquée dans le scénario 4 de l’Ademe n’est pas au point, son coût n’est pas connu, son bilan écologique non plus ; c’est également le cas des « villes intelligentes » et autres solutions reposant sur le numérique ou le nucléaire.
    • La voiture électrique n’est pas accessible pour les revenus les moins élevés.
  2. Quand bien même les solutions technologiques finiraient par être mises au point, il serait trop tard :
    • La fusion nucléaire ne sera pas disponible avant 2080, si les problèmes pratiques et théoriques existants à ce jour sont résolus. L’argent serait mieux investi dans la réduction de la dépendance à l’automobile, l’isolation des bâtiments etc.
  3. Ces solutions n'en sont pas réellement, elles ne font que déplacer les problèmes :
    • La voiture électrique déplace le problème de l’épuisement des ressources des fossiles vers les métaux ; elle ne résout pas le problème de l’étalement urbain et de la consommation d’espace artificialisés.

Ces options qui correspondent aux deux premiers scénarios de l’Ademe sont préférées par les pays en développement, les acteurs économiques de plus petite taille, une partie des petites villes et des mouvements sociaux. Les sondages de l’Ademe montrent que c’est la voie privilégiée par la population française, alors que le solutionnisme technologique ne recueille pas plus de 15 à 20 % d’adhésion.