La controverse Darwin - Kelvin sur l'âge de la Terre
2. Pourquoi étudier une controverse ancienne ?
2.3. La controverse Darwin - Kelvin
La controverse qui nait entre Darwin et Kelvin est le fruit de deux approches différentes élaborées dans des disciplines différentes :
- l’une basée sur l’observation des archives géologiques (naturaliste).
- l’autre sur les mécanismes physiques et les lois théoriques qui les régissent.
Dans l’idéal, ces deux démarches menées avec une égale rigueur devraient aboutir à des résultats comparables, mais ce n’est pas le cas. Pourquoi ?
William Thomson (Lord Kelvin)
De son côté, William Thompson, plus connu sous le nom de Lord Kelvin, reprend la question du refroidissement de la Terre en s’appuyant sur les dernières avancées de la science, en particulier des moyens de calcul plus évolués (« transformées de Fourier ») qui permettent de s’affranchir du modèle linéaire et simpliste de Buffon. Il le fait avec les connaissances de l’époque sur la structure de la Terre et sur la physique. En particulier, il considère que la Terre est solide jusqu’en son centre, ce qui interdit d’imaginer des transferts de matière et de chaleur du noyau vers la surface (comme nos connaissances actuelles permettent de le savoir). Il s’appuie également sur l’âge du Soleil (la Terre ne peut pas être plus vieille que son étoile) en faisant l’hypothèse que l’énergie qu’il produit est liée à un effondrement gravitationnel : l’effondrement du Soleil sous son propre poids provoque fusion et production de chaleur. Mais ce mécanisme ne peut se maintenir indéfiniment puisque la masse du Soleil est limitée (et déjà évaluée au XIXe siècle). A partir des connaissances sur les dimensions du Soleil et sur son émission de chaleur, Kelvin en arrive à estimer que notre étoile ne peut pas être plus vieille que 100 millions d’années (valeur qu’il ramènera même à 90, puis entre 20 et 40 millions d’années dans des publications ultérieures).
Charles Darwin
Darwin, quant à lui, est frappé par la diversité et la richesse des fossiles présents dans les roches et par les temps nécessaires à l’accumulation des sédiments, mais aussi à l’érosion des reliefs. En cela, il s’inscrit à la suite de
nombreux géologues de l’époque qui, se basant sur la vitesse d’accumulation des sédiments et l’observation des milliers de mètres accumulés dans certains bassins, commencent à évoquer des durées exprimées en centaines de millions d’années, voire en
milliards pour les plus audacieux. Les travaux de Darwin sur les mécanismes de l’évolution biologique (qu’il imagine très progressifs) lui font également pressentir que la succession dans le temps de toutes les faunes et les flores fossiles connues
implique des durées extrêmement longues. Cependant, cette intuition et l’abondante documentation des flores et faunes fossiles ne peuvent servir de preuve absolue : on sait décrire la succession des temps géologiques et des organismes fossiles
qui leur sont associés, mais on ne sait pas encore établir des correspondances avec des intervalles de temps mesurés en millions d’années.
A ce stade, les deux camps paraissent donc inconciliables et si la balance paraît pencher en faveur de la thermodynamique de Kelvin, il est bien difficile de trancher définitivement la question…