Aménager ses conditions et contraintes professionnelles pour former à la durabilité
2. Un outil d'enquête : l'échelle des niveaux de codétermination didactique
2.3. La dimension politique
La dimension fondamentalement politique des enjeux socio-écologiques a été un aspect difficile à traiter pour l'équipe enseignante du module ETRE. Un consensus a fini par émerger après de nombreuses discussions sur le fait que la prise en compte des valeurs est importante dans les problèmes liés à la durabilité comme le souligne par exemple Michel Fabre. Elle renvoie à la fois aux valeurs de l’enseignant et aux valeurs inhérentes aux savoirs (épistémologie). Pour comprendre les difficultés vécues par les enseignants, on peut l'analyser sur le plan de la culture professionnelle en distinguant schématiquement deux manières de penser la place de l’enseignant à propos des valeurs :
- D’une part l'application d'un devoir de réserve et d'une exigence de neutralité entendue au sens strict comme l'idée que les enseignants n'ont pas à parler de sujets politiques ou à prendre position devant les étudiants. Sur ce point, il est d'ailleurs important de noter que la loi française garantit aux enseignants-chercheurs une liberté d’expression spécifique dans l'exercice de leurs missions, supérieure à celle de la plupart des autres fonctionnaires.
- D’autre part, la valeur d'honnêteté intellectuelle du scientifique qui consiste à expliciter sa propre position, son niveau d'expertise et ses valeurs pour permettre à ses auditeurs de prendre du recul sur ce qui est dit.
Au fil des échanges, plusieurs enseignants en sont venus à reconsidérer leur compréhension de la neutralité en lui donnant un sens davantage centré sur la reconnaissance du pluralisme (soit dans le cas présent, expliquer aux étudiants différentes positions possibles sur la façon de penser les enjeux socio-écologiques). Au fur et à mesure de l'acculturation de l'équipe, par exemple à des concepts développés en SHS comme les différents récits de l'Anthropocène au travers de temps importants de formation par les pairs, les réticences à aborder des sujets sur lesquels chacun n'est pas expert se résorbent progressivement.
Cela a fait toutefois surgir de nouvelles questions sur les manières d'amener les étudiants à construire des jugements éclairés : est-ce que le contexte d'une formation d'ingénieur ne nous conduit-il pas à préférer des approches excessivement technologiques des problèmes en sous-estimant les autres dimensions ? Comment penser contre soi-même ?